lundi 13 mai 2013

Histoire d'une naissance, et fin


11 heures. Cela fait cinq heures à peine que le travail a commencé, au chaud dans mon lit. Trois heures tout juste que nous sommes à la maternité. Quarante minutes que je suis en salle de naissance. Un quart d'heure que la péridurale tant désirée m'apaise enfin entre deux contractions.

J'ai cru que je ne l'aurais jamais. J'ai cru que je n'y arriverais jamais. À présent, je suis à 10 cm, mais ça va mieux, bien mieux. Ma fille pousse, fait son chemin, toque à la porte. Je fais quoi ? Ça pousse : je pousse ? je pousse pas ? j'attends, je retiens ? Les sages-femmes, très calmes, me disent de la laisser faire. Elles doivent me trouver sacrément lourdingue, parce que toutes les trois minutes, je les sonne pour leur dire que ça pousse un peu plus que trois minutes auparavant.

Mais on attend "le" moment. Tout le monde est très calme, en fait – sauf moi.

Parce que ma péridurale, je l'ai, et ça va bien mieux, merci ; mais je sens tout. Le va-et-vient des contractions. Le passage de ma fille en moi. Son insistance, là, en bas. La sage-femme, qui m'ausculte ("On voit la tête !" – ah...). Tu comprends, mon premier accouchement, je ne sentais mais alors genre rien du tout. Je pouvais bouger mes jambes, je pouvais pousser (enfin je crois), mais je ne sentais rien. On m'a coachée pour les contractions. Je n'ai rien ressenti, je n'ai pas souffert. N'ai rien vécu, en somme.

Là, je sens. Et comme tout ce qui vit, plapite, s'expose, ressent, pressent : j'ai peur. Peur de ce que je vais sentir, que ce soit douloureux ou non. Peur de ce que cela va exprimer de fondamental en moi – "exprimer" au sens premier, "sortir, extraire de". Peur d'avoir mal, peur de comprendre, peur de découvrir, les sensations, sa vie, cette vie qui sera bientôt la nôtre à tous ; moi, mère pour la seconde fois, pas si facile peut-être. Peur de cette expérience si primale, si terriblement éloignée de ce que je suis, socialement, dans ma vie de tous les jours. Je l'ai vécue, une fois, et pourtant ne l'ai jamais vécue. Je n'étais pas impliquée, pas actrice, pas mère, même pas femme. Juste paumée, et si gamine, à l'époque.

Deux ans ont passé entre ces deux accouchements, et rien n'est pareil. J'ai si peur que je tremble comme une feuille. Je suis calme, mais je tremble très fort. On me demande si j'ai froid.

Je rappelle les sages-femmes, je dis : "Là, vraiment, ça pousse très fort." Elles me disent : "OK, on y va si vous voulez." Je ne sais pas si je veux, mais je dis qu'on y va.

Je me positionne. Je me souviens, je place mes pieds, j'attrape mes genoux. Je prends une grande inspiration, je bloque, et je pousse. Fort, en tout cas j'essaie. L'apeurée en moi voudrait pousser moins, de peur de pousser trop, de me faire mal, de me déchirer. Cette furieuse, impérieuse et irrémédiable envie de pousser. Si... organique. Originelle. Je me fais violence pour pousser fort, tout de même, le plus fort que je peux, malgré la peur.

La sage-femme me dit : "Vous voulez toucher sa tête ?"

Sans façon, merci.

L'homme : "Mais si, vas-y, tu seras contente après !"

Oh bah, si je serai contente après, alors...
Je tâte précautionneusement (et à reculons, faut bien le dire). Je sens... non en fait je suis incapable de dire ce que je sens, mais à les entendre, je touche là où il faut. La contraction suivante m'oblige à cesser mon tripatouillage pour finir mon job (sortir ma fille de dedans moi, pour ceux qu'auraient pas suivi), quel dommage.

Tout le monde (= la sage-femme, la puér', l'homme) y va de son joyeux commentaire : "Oh, la tête est passée !", "Je vois les cheveux !", "Le bras, elle a dégagé le bras !", "Ça y est, elle arrive !", tandis que moi, merci dieu de la péridurale, je n'ai l'impression de ne sentir que le haut de son crâne.

Tout comme il y a deux ans, on me dit qu'elle arrive, et on me dit de l'attraper. Cette fois, en revanche, je me redresse, décidée ; je la regarde s'élever au-dessus de mon ventre par mon accoucheuse ; je tends mes deux mains, mes bras sont fermes, volontaires, ne flanchent pas le moins du monde. Je l'attrape, je n'ai pas peur de la faire tomber, je la pose sur moi et je l'accueille, simplement, comme j'aurais aimé savoir accueillir sa soeur aînée deux ans plus tôt. Je la pose sur mon ventre, je la sèche, lui caresse doucement la tête, avec ces gestes qui me sont si familiers aujourd'hui. Je n'explose pas de joie, d'amour ; je ne la connais pas encore. Je suis juste contente, émue, clouée de fatigue, de contentement, d'étonnement par cette expérience : j'ai mis au monde ma seconde fille. C'est moi qui l'ai fait.

La suite, c'est nous deux dans la pénombre de la salle de naissance, seuls avec elle ; nous deux complices, souriants, du plaisir de ceux qui ne sont plus maladroits, qui ne sont plus apeurés à la perspective d'une nouvelle vie entre leurs mains. Cette petite revanche sur la première fois, où nous étions si inexpérimentés. Les gestes, les habitudes, les souvenirs reviennent en bloc : comment la porter, comment tenir sa tête, comment l'apaiser.

La suite, c'est lui la tenant contre son torse, elle très calme ; et moi, épuisée, heureuse, emprise d'une douce lassitude qui me délasse, moi qui me laisse fondre dans le sommeil, libérée de toute peur, de toute appréhension quant à l'avenir.

La suite, c'est elle et moi faisant connaissance dans la solitude de notre chambre de maternité. C'est moi assurant les trois jours suivants, épuisée, éreintée ; mais sereine, mais calme, mais patiente, mais mère.

La suite, c'est notre retour ; c'est ma grande, soulagée de nous retrouver, curieuse et heureuse de la présence de sa soeur.

La suite, c'est le mois qui vient de s'écouler – un mois déjà ! C'est le quotidien très, trop rempli ; les journées pas toujours évidentes avec un nouveau-né, surtout seule, surtout avec deux enfants ; ce sont les nuits, peu hachées, mais hachées tout de même. Ce sont des jours avec et des jours sans ; parfois des jours vraiment, vraiment, vraiment sans. Et certains vraiment, vraiment avec.

La suite, c'est nous quatre. C'est le sentiment de les aider à grandir, chaque jour. De construire quelque chose de fort, de beau, d'important.

La suite, c'est notre famille fraîchement née, et tout ce qu'il y a à venir.
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17 commentaires:

  1. Enfin la fin ! Merci pour ce beau récit :-) Moi aussi on m'a dit de toucher la tete et euh... j'ai pas trop compris ce que je touchais ^^ Et bon, a part la partie douleur atroce de la partie 2 de ton récit, j'espere que mes accouchements suivants, si j'ai la chance d'avoir d'autres enfants, ressembleront à celui-là !
    Elise

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    1. Moi aussi, j'ai rien compris à ce que je touchais :D mais bon ça ne m'a pas manqué, c'est pas trop mon truc, d'aller tâter la fontanelle de mes enfants en train de sortir de moi :p
      Sinon, oui j'ai douillé sévère pour les contractions, mais heureusement je n'ai pas du tout eu mal pour la délivrance, ce que je redoutais le plus (et m'en suis très bien remise à ce niveau-là, aucune complication ni suite de couches douloureuse). Mais c'est vrai que les contractions, mon Dieu, c'est quand même violent. Tu les as subies dans quelle mesure pour ton premier ?

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    2. J'ai eu des contractions violentes immédiatement après avoir perdu les eaux, à la maison. J'en avais toutes les 10, puis 5, puis 2 mn en arrivant à la maternité 2h (oui j'ai pris mon temps hein) après. Mais je n'étais qu'à 2. Ils m'ont donc installée dans une chambre en me demandant de gérer jusqu'a ce que j'en puisse plus. J'ai tenu 2h, mais c'etait pas insurmontable non plus, j'etais libre de mes mouvements, et les contractions etaient bien placées, pas dans le dos !! j'ai commencé à avoir tres mal quand elles sont arrivées aux cuisses. Donc en tout, avec le monitoring a l'arrivée, j'ai eu 5h de contractions très fortes et rapprochées mais pas longues (40 secondes). Et à la pose de la péri, quand elle a fonctionné des 2 cotes, plus aucune contraction pendant 10h !!

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    3. Ben, cinq heures de contrax, la vache... Au premier, j'ai géré jusqu'à 3 cm, et après je me suis reposée pendant six heures grâce à la péri ; là, j'ai géré les contrax à peine deux heures, mais bon, à la vitesse où je dilatais, je comprends mieux ;)
      Du coup tu as pu te reposer après la péri et avant la délivrance, ça c'est le top !

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  2. C'était un magnifique récit, tout plein d'émotion et tout et tout...c'est beau la vie...

    et je n'en reviens pas que ça fasse déjà 1 mois!!

    Je vous souhaite vraiment beaucoup de bonheur.

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    1. Moi non plus, je n'en reviens pas, un mois... bon, il est grand temps qu'elle fasse ses nuits, donc !
      Merci pour tes félicitations :)

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  3. Ah enfin, elle est sortie ! ;)
    Moi j'aurais aimé la sortir aussi mais j'étais trop faible, j'avais la tête qui tournait, beaucoup, j'avais peur de la lâcher... Peut-être pour le 3ème ! hahahahaha !

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    1. Pareil, pour ma première, elle était tellement glissante, j'ai eu peur de la lâcher !
      Et tu penses déjà au troisième, toi ? quel courage, ça se voit que ta deuxième fait ses nuits :D

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    2. Ben moi j'y pense un peu... Mais mon mari est pas chaud !!
      Enfin j'y pense pour dans 3 ans hein !! Alors j'ai le temps quand même :)

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    3. Ben déjà nous, ça nous travaille sur le plan hormonal... sans blague. Vivre une grossesse, un accouchement, ils n'ont pas connu ça, nous oui. C'est pas anodin, ce sont des expériences... uniques. Ça travaille de revivre ça, enfin c'est mon cas. Et puis faire "le petit dernier", voir comment la fratrie va se compléter... finalement ça titille vite !

      Mais pour l'instant, la phase "nourrisson" m'a revaccinée... mais je me connais, je sens bien que dans 6-8 mois je vais cogiter ! Puis nous, si on fait, on refait proches, sinon on ne fait pas... donc verdict sous deux ans :D

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  4. wouah !! joli récit... je m'y revois aussi il y a un mois ! bravo et PROFITES !!

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    1. Pour l'instant, je vais surtout profiter d'aller DORMIR tant que je peux (grande à la sieste et petite chez la nounou) ;)
      Merci !

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    2. Dormir...dormir ??? j'avais oublié ce mot...

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  5. Un mois déjà! Purée faut que je vienne vous voir plus souvent! :-)

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  6. Punaise c'est un truc de dingue !!! on a vécu exactement la même chose ! après ma premiere grossesse quand on me demandait ce que c'était d'accoucher je disais 'sais pas' tellement je n'avais rien senti ! par contre la 2ème je l'ai sentie passer malgré la péri ... bien même ;)
    si tu savais à quel point je comprends chacune de tes phrases ! un truc de dingue !!!

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    1. C'est fou les différents ressentis qu'on peut avoir, hein ! c'est dingue tout ce qu'un accouchement peut nous faire vivre... ! Avant ce 2e bébé, je voulais que ma péri soit aussi forte que la première, car je redoutais beaucoup la douleur et les sensations ; finalement aujourd'hui, je préfère de loin ce deuxième accouchement dans lequel je me suis sentie totalement investie !

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