mercredi 15 mai 2013

Le jour où je me suis appelé les pompiers


Y a des journées comme ça, tu te dis qu'elles manquent un peu de piment. Que ton quotidien est un chouille monotone – bébés, bibis, pipi, dodo... rien de très foufou, en somme. T'aimerais bien, jeune primipare ou, pire, multipare comme moi, damned, découvrir autre chose que les joies du congé maternité alone à la maison (baby blues mon amour). Un poil d'aventure, un soupçon d'inattendu, ce serait rien cool, non ?

C'est aussi ce que je pensais, alors je me suis dit qu'il était temps de rigoler un peu, de tenter des expériences nouvelles. Genre un malaise cardiaque – tu admettras que je tape dans l'original, quand même. Quand je m'éclate, je fais pas semblant.

Je passe chez une amie hier matin avec ma puce d'un mois. On papote, on avait une heure devant nous. On papote, mais je me sens moyen bien. Une espèce de pointe au sternum, un genre de poids un peu aigu. Bon. On papote encore. Mais je l'écoute qu'à moitié ; le poids s'intensifie, m'oppresse la poitrine. Non, vraiment, ça va pas fort. Je m'inquiète un peu, me demande si ça va passer, ce que c'est.

Ça s'accentue, s'aggrave en l'espace de 10 mn. Un peu de mal à respirer, puis le poids irradie dans le dos, entre les omoplates.

Merde. Merde, merde. C'est quoi ? C'est grave ? Je fais quoi ?

Aussi stupide que ça puisse paraître (et ça l'est !), je ne dis rien à mon amie. Peux pas. J'ose pas. Une espèce de grosse pudeur débile m'empêche de l'alerter, de l'effrayer (ou d'avoir l'air ridicule). Au lieu de ça, irresponsabilité bonjour, je sourie, je lui dis que je dois partir parce que ma fille va réclamer son bib très bientôt, je lui dis au revoir et je sors de chez elle.

J'ai mal à la poitrine, je respire difficilement, j'ai le coeur qui palpite ; mais non, retourne-moi deux claques s'il te plaît, je range mes sacs dans ma voiture, je mets ma fille dans son siège auto, je l'attache, je replie conscieusement la poussette, que je range dans le coffre. Je m'installe au volant – oui, t'as bien lu –, je mets ma ceinture, je démarre, je lance un dernier au revoir à mon amie, tout en me demandant si c'est ça, une crise cardiaque, et en me disant que, merde, 29 ans, ça fait un peu jeune pour partir. Voui.

Pas si stupide que ça (...), je ne compte bien sûr pas reprendre la route (oh bah ça va alors...). Non, je démarre, je tourne dans la rue suivante et je me gare sur un parking.

Et j'appelle le Samu.

Très, très bizarre que de composer le 15 sur son téléphone portable pour s'appeler les secours à soi-même. Tout en se demandant si on va pas tomber dans les vapes dans les trois minutes.

J'explique comme je peux à la standardiste ce qui m'arrive, je respire mal, je parle mal. Elle me dit : "Vous pouvez vous rendre à l'hôpital ?"

Heu, bah pas franchement, non. C'est-à-dire que j'arrive tout juste à parler, alors conduire, bon, voilà quoi. Je dis donc que j'ose pas conduire dans cet état, surtout avec ma fille à l'arrière dans le cosy. Enfin je sais pas, quelque chose me dit que c'est pas hyper secure.

Elle me dit qu'elle me passe le médecin régulateur. Le médecin régulateur, c'est le doc qu'on te file au téléphone quand t'appelle le Samu et qu'en fait, a priori, c'est pas hyper grave. En tout cas, il t'écoute, te pose des questions, et estime la gravité de la situation. Du coup je suis surprise (tandis que j'ai un dix-tonnes sur la poitrine, je le rappelle) : visiblement, je suis pas un cas grave, puisqu'elle prend le temps de me filer le médecin régulateur. Bon. J'attends dix secondes.

Elle me reprend : "OK, on vous envoie les pompiers. Bougez pas. Raccrochez."

Ah. Tout de même. Bon, je vais essayer de pas crever dans les 4 prochaines minutes alors.

(Tu rigoles, parce que je le dis en rigolant, là, maintenant ; parce que tu te doutes bien que tout finit bien, puisque je suis là pour t'en parler. N'empêche, hier, je rigolais pas franchement, et j'ai vraiment cru que j'y passais. Vraiment. Mais là tu peux rigoler, c'est bon.)

La douleur s'intensifie d'un coup. Je respire très mal, ma poitrine est écrasée, mon coeur s'emballe. Je panique, je me dis que vraiment, je vais crever là, sur ce parking. Je n'attends qu'une chose : entendre la sirène, au loin. Je l'attendrai six très, très longues minutes. Six minutes, pendant lesquelles je ne me suis concentrée que sur deux choses : cette putain de sirène qui tardait à venir, et ma respiration, que j'ai tenté de ralentir, de maîtriser, de calmer, en me disant que chaque seconde de passée c'était une seconde de gagnée. Qu'ils allaient bien finir par arriver et que tout irait mieux.

Six minutes aussi pendant lesquelles j'ai pensé à mon père et à ses problèmes cardiaques, à son infarctus de l'année dernière. Six minutes durant lesquelles je me suis dit aussi que je payais les vingt-cinq dernières années passées à bouffer comme douze, que je payais mon rapport malsain à la nourriture. (Six minutes également pendant lesquelles j'ai pensé, oui, que du coup peut-être je pourrais pas manger ce bon repas de pâté et de mousse de foie de canard qui m'attendait dans mon frigo. Oui, je l'ai pensé, oui.)

Enfin, la sirène, cette fichue sirène. Enfin les voilà. Je me sens honteuse, l'impression de déranger les gens, alors que peut-être je vais bien en fait, alors qu'ils auraient mieux à faire. Honteuse, car ça va se voir dans tout le voisinage – même si je ne connais personne dans le coin. Ça loupe pas : des gens sortent, curieux, viennent voir.

Et puis surtout ça va mieux. Je respire normalement, je n'ai presque plus de douleur au thorax. J'ai honte de les avoir dérangés, vraiment, mais bon. Ils m'interrogent, demandent comment ça s'est passé. Eux n'ont pas l'air de penser que je les dérange. Ils me collent un masque à oxygène, mesurent ma "sat", ma "dextro" (comme dans Urgences, ouais), prennent ma tension. Décident finalement de m'emmener à l'hosto pour un bilan, par mesure de précaution.

Ils amènent un fauteuil roulant près de la voiture, me demandent si je peux me lever, je dis que oui, je crois. Je me lève, confiante... et là, de nouveau, rien ne va plus. Le poids sur la poitrine, la respiration limitée, le coeur qui palpite. Les pompiers me soutiennent, m'assoient, nous embarquent moi et ma fille dans le camion rouge, mettent la sirène, démarrent en trombe.

(La honte suprême, c'est quand tu réalises que tu rentres à peine entre les montants du brancard des pompiers. Si je m'en sors, promis je me mets au régime sec. Sérieux.)

Sur le brancard, je pense, et puis en fait non, j'essaie surtout de ne pas penser. Sinon je fonds en larmes : qu'est-ce que j'ai ? pourquoi ? je vais mourir ? et mes filles ? mon mari ? ma vie ? et qu'est-ce qu'on va me faire ? et je suis fatiguée, et j'en ai marre, et faut que j'appelle l'homme, faut qu'il récupère la petite, et, et, et.
Alors tu comprends, j'arrête de penser, sinon je deviens dingue, pour sûr.

Finalement, je suis arrivée aux urgences. Finalement, on m'a fait tous les tests possibles et imaginables : ECG, prise de sang, perf', contrôle de l'artère, etc. (enfin, on m'a fait quelques tests, quoi).

Et tu sais quoi ? Finalement, je n'ai rien. Strictement rien. Rien d'explicable, en tout cas. Pas de défaillance cardiaque, pas d'embolie pulmonaire, par d'artère bouchée, rien, nada, que dalle.

Finalement, je suis rentrée chez moi l'après-midi. J'ai retrouvé mes filles, je me suis occupée d'elles. J'ai mangé, j'ai dormi, surtout, comme une masse. J'ai passé mon tour pour le bib' de 4 heures du mat' (j'avais des circonstances atténuantes, hé, ho), mais je me suis levée à 6 heures, pour la petite, puis la grande. J'ai fait la vaisselle, la lessive, j'ai plié le linge, rangé le salon. Donné le bib' de 10 heures. Mangé des Chocapic, bu un Coca. Et blogué.

Fin de l'histoire. Quelque part tant mieux : je n'ai rien, rien de grave, s'entend. Ouf ! Mais bon. Voilà, j'ai eu un genre de malaise, pas cardiaque visiblement, et je ne sais pas pourquoi. Bon. En espérant que ça revienne pas, quoi. Youpi.

Tu vois, quand je te dis que je sais pimenter une bonne journée bien monotone, tu me crois maintenant ?
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14 commentaires:

  1. Et le surmenage? les émotions tout ca? Le corps peut réagir de manière inattendue. au moins avec ce bilan tu es rassuré ... et nous aussi!

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    1. Aucune idée... d'habitude j'encaisse bien la fatigue, le stress, tout ça, j'ai l'habitude... je vois pas pourquoi un surmenage me ferait avoir un malaise soudain alors que je ne faisais rien de spécialement fatigant à ce moment-là... On verra demain, je vais chez le médecin pour un bilan complet.

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  2. ça ressemble quand même bcp à une crise d'angoisse, genre spasmo ... je ne suis pas doc mais c'est le genre de truc que je fais dans ces cas la !
    snon si j'avais été ta copine, quand je l'aurais su je t'aurais fichu une paire de claques ma vieille ;) non mais ça va pas de ne rien dire !!! ll n'y a pas de pudeur ds ces cas là !!! même avec une inconnue il faut le dire non mais ! j'espere que tu en referas jms ça seule, hein ?

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    1. Spasmo c'est pas mal musculaire quand même non ? Je veux dire : en réponse à un stress ou une fatigue, tu as des crispations musculaires j'ai lu, non ? Je ne crois pas que ce soit ça mais je ne connais pas. Je pense qu'ils me l'auraient dit aux urgences.

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  3. (sinon ... tu n'avais pas envie de te faire un ego-trip de camion de pompiers rien que pour toi, non ???)

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    1. Grave :D Les trois pompiers étaient juste canons ; mais j'en ai pas tellement profité avec ma respi qui faisait le yoyo et mon masque à oxygène sur la tronche...

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  4. J'allais dire comme Babidji ! J'ai fait pas mal de spasmo à une époque lointaine et ça ressemblait pas mal à ça ! Mais bon, j'étais pas dans ton corps et jsuis pas doc donc jpeux pas te dire vraiment...
    En tout cas, contente que tu ailles mieux ;)

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    1. On verra l'avis du doc demain !
      Mieux, pas tellement en fait, j'ai pas refait de malaise de ce type, mais je fatigue très, très vite au moindre effort, respiration courte notamment... Mais bon, tous les exams étaient bons donc a priori ce n'est rien d'inquiétant ! Peut-être juste une énorme fatigue effectivement : accouchement + nuits hachées + stress + gestion des deux miss......

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  5. Euh mais euh, comment ça déranger? Il y a des gens qui appellent les pompiers pour un chat coincé dans un arbre!

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    1. Ben ouais mais depuis gamine j'ai toujours eu peur de pas être assez malade pour avoir "droit" d'aller chez le médecin, ou de louper l'école, ou d'appeler le Samu en l'occurrence... tu connais les casseroles que je me traîne (vive ma mère malade chronique) ;)

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  6. Je t'encourage fortement! C'est bien d'en parler ici, ca fera une motivation supplémentaire, ca et le malaise cardiaque... : s
    Bon courage!

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    1. Alors heureusement, ce n'est a priori pas cardiaque puisqu'à l'hosto ils m'ont fait ECG, enzymes cardiaques et compagnie, et que tout est OK... c'est déjà rassurant !

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  7. J'allais aussi demander comment étaient les pompiers !!! :-) heureusement que ça va finalement, tu as du avoir tellement peur ! Sinon moi aussi je suis du genre à pas dire quand ça va pas, trop bizarre, j'ai jamais compris pourquoi !
    Elise

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    1. Canoooonnnns :D Mais j'étais pas en état de fantasmer dessus vu que je me demandais si je serai encore là à la fin de la journée..... :D

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