samedi 22 juin 2013

Épuisée, mais heureuse


Il y a, me semble-t-il, une éternité, je te disais, ici, que je n'avais pas réalisé. Je n'avais pas réalisé ce que ça impliquait réellement, deux enfants d'âges rapprochés, en termes de manque de main d'oeuvre, surtout quand la moitié de l'équipage a quitté la galère (comprendre = l'homme, à ce moment-là, a repris le travail).

C'était le tout premier matin que j'assumais, ou du moins tentais d'assumer, seule. Ce jour-là, je m'en souviens très bien, j'ai été prise d'un immense vertige devant l'incommensurable énergie (et une débrouillardise sans pareille doublée d'une imagination débordante, d'une patience infinie et d'un calme olympien) qu'il allait me falloir déployer pour parvenir à m'occuper en même temps de mes deux petites – la grande-petite et la petite-petite. J'ai eu le tournis, très fort ; j'ai pensé : je n'y arriverai pas. Les trois derniers mois de grossesse, l'accouchement, les trois nuits blanches à la maternité : du pipi de chat, en comparaison. Jusque-là, j'étais zen. D'un coup, j'ai eu peur, parce que j'ai, littéralement, pris la mesure des choses, de ce qui m'attendait.

(J'abuse de l'italique, ouais ; c'est pour que tu comprennes qu'on rigole pas, là.)

Mais ça, c'était avant.
#copyrightkryspublivoretoussa

Un mois et demi après, je peux dire que je gère, et que j'en suis plutôt fière. Sur les rotules, je suis ; je te le cache pas (ce serait difficile vu mon rythme de publication – une note par trimestre, youhou). Épuisée, oui. Mais heureuse. Les journées passent à une vitesse... sidérale. Cosmique. Mais riches, mais pleines, mais lumineuses. Et puis, donc, je gère. L'angoisse que mes deux petits bras (ronds) n'y suffiront jamais me semble à des années-lumière. Je ne me pose plus de questions : je fais.

Je joue au jeu de la barque, des loups et des moutons avec mes filles. La petite dans son lit ; je descends avec la grande ; je la boucle sur sa chaise le bib au bec ; je prépare le transat ; je remonte ; je descends la petite ; je l'arnache dans le transat ; je la biberonne. Au coucher, même balade : petite dans son lit ; toilette de chat de la grande ; couche de l'une ; couche de l'autre ; je dis à la petite que chut, je reviens bientôt la coucher ; je lis son histoire à la grande ; je pose le livre à la 1re page et je vais chercher la petite hurlante ; je termine l'histoire une mouflette sur chaque cuisse ; je repose la petite ; je couche la grande ; je vais coucher la petite ; je retourne voir la grande (qui a soif) ; je retourne voir la petite (qui a faim) ; je ferme toutes les portes ; je souffle un bon coup ; je me dis que je vais enfin me reposer ; je finis : la vaisselle, le rangement, les sacs du lendemain, les bibs de la nuit, le linge, les chats, les volets, la poubelle. Puis, enfin, ma journée se termine.

Tavu, je gère.

(Et ça, c'était sans compter mes six heures de taf quotidiennes, vu que tu le sais pas mais en fait j'ai repris le traval depuis lundi dernier – respect to me.)

Épuisée, oui ; grave. Je ne sais pas bien où je trouve cette énergie – ah si en fait je sais : j'ai pas d'énergie, mais alors du grand que dalle. Je carbure à je sais pas quoi (coca et sushis en ce moment – mais ça coûte un peu cher). D'autant plus épuisée que, donc, j'ai repris le taf ; et que l'homme étant musicien dans (tu vas rigoler) trois groupes différents (je t'avais prévenu), la saison estivale est, disons-le, relativement chargée (doux euphémisme pour dire : trois concerts par semaine pendant trois mois) (ça claque tous mes italiques ou bien ?).

Épuisée, oui, mais heureuse (même si je radote). Heureuse d'elles, de nous, de la famille que nous formons. De ma grande qui fait des phrases ("Machines cassent maiyon Babapapa", "Oiseaux volent ciel"... un futur prix Goncourt, pour sûr). De ma petite, aux sourires si évidents. De la grande qui rit parce que la petite rit parce que la grande a ri parce que la petite riait. De mes envies irrépressibles, au-delà de ma fatigue, de leur bouffer le bidon, et de leur dire que je les aime.

À chacune, aujourd'hui, j'ai eu envie de dire : "Je t'aime" ; et je l'ai fait.
Toutes deux m'ont souri de ces sourires lumineux, immédiats, inévitables, qu'aucune réponse, aucun mot en retour ne pourraient remplacer.

Épuisée, épuisée, épuisée, je suis. Mais tellement emplie d'elles, tellement fière, tellement amoureuse de mes filles.

Oh, mes copines de galère, qui se reconnaîtront : je vous rassure, je craque toujours. Moins souvent, parce que j'ai l'incroyable culot d'avoir des nénettes en or, qui dorment des nuits entières, qui font grasse mat' le week-end, qui s'endorment seules, qui sont peu ou pas malades, faciles à vivre, souriantes, pas compliquées. Je l'admets complètement : nettement plus facile de voir les choses en couleur quand ça se passe aussi bien (je ne me l'explique toujours pas, on n'est pas trop trop nazes comme parents, certes, mais quand même, il y a là un mystère génétique qui m'échappe totalement. On doit avoir des ovules et spermatos de compète – sans nous vanter). C'est facile d'aller bien quand (quasiment) tout va bien. Parce qu'au premier réveil nocturne, au premier vomito de travers, à la première crise échappant à ma logique d'adulte ou au premier aprèm' de refus obstiné de dormir (alors que j'en ai, moi, très visiblement, grand besoin), je craque. Je les tape pas, même si j'en ai très envie ; mais je virerais sociopathe facile, si je pouvais.

On en revient toujours à cette ambivalence qui me fascine, dans le rôle de parents. Tant de contradictions, de sentiments opposés qui cohabitent. Tant de fatigue, d'émerveillement, de soupirs, de difficultés, de facilité, de lumière, d'obscurité, de ras-le-bol, de bonheur, de doutes, de certitudes, de remises en question, d'abnégation, de douceur, de plaisir, de craintes, de joie, de hâte.

Être parents, c'est un paradoxe perpétuel qui m'étonnera toujours.

(Sur ce, mes amis, mon plateau sushis du jour n'attend plus que mon estomac et moi – bien le bonsoir.)
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12 commentaires:

  1. Ton texte est très émouvant! Surtout quand tu parles de l'ambivalence d'être parent, je te comprend tellement et c'est si bien écrit! Je t'envoie très fort un peu de modjo, de l'énergie, du carburant en pensée, pour continuer à vivre ton bonheur! Bises

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    1. Merci, et bienvenue par ici :)
      Et merci pour le carburant en pensée (je vais y ajouter un peu de Nutella – ou de bon muscat, au choix), ça devrait le faire !

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  2. C'est beau, c'est beau, c'est beau!
    On en veut encore, ne nous laisse pas!

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    1. Faudra dire ça à mon emploi du temps en surgonflage critique !
      (mais merci <3 :))

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  3. Hum, du muscat ... T'as bien raison tiens !

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  4. Comme je te comprends !! je suis carrément dans les mêmes propos que toi. Je me retrouve complètement dans ce que tu dis, "épuisée mais heureuse..." pareil à la maison.

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    1. C'est presque une "bonne fatigue", tu sais, de ces fatigues qui te claquent mais qui te comblent, avec lesquelles tu as le sentiment d'avoir fait des choses, de construire, de vivre, de partager avec tes enfants, ta famille :)

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  5. Ohhh... Les deux derniers paragraphes... Je les ai lus et relus... Oui, c'est ça, ambivalence, complexité, trop de sentiments, moi ça me fait peur, et ça a commencé à la seconde même où le test de grossesse était positif. Une joie et une peur... Immenses, mélées ! Et tous ces sentiments qu'on ressent avec une telle force.. Et ceux que je croyais connaître mais que je ne connaissais pas en fait : peur (viscérale, pour rien..), fierté, epuisement (c'est un sentiment ?), joie, bonheur...
    Bref, oui, c'est un paradoxe perpétuel, et une (re)découverte de soi perpétuelle ! Quant au tout dernier paragraphe... Je rêve de sushis, vraiment :-)
    Merci encore pour ce bel article.
    Elise

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    1. Mais mais mais, attends... tu n'es plus enceinte il me semble, non ? Ou si ? Ou j'ai rien suivi ? Pourquoi tu ne peux pas manger de sushis ?

      Merci de ton passage régulier ici, j'adore nos petits échanges :)

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  6. Ohhhhh non je ne suis plus enceinte, plus depuis 5 mois et pas avant euh... Un petit peu de temps, un petit peu pas trop quoi !
    Si je raconte ma vie ici (c'est pas l'endroit ? bon tant pis j'y vais quand même) tu sauras que j'ai beau habiter en région parisienne (beurk) les seuls qui livrent ici des sushis c'est planet sushi (beurk) et on a trop la flemme d'aller chez notre japonais préféré a 10km d'ici MAIS qui livre pas. Sachant qu'avant on hésitait pas à y aller toutes les semaines.
    La flemme. L'envie de rien faire. Voilà un autre sentiment multiplié par 100 avec la maternité ;-)
    (Voilà ma vie passionnante !!)

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    1. Aaaaaaah, je me disais aussi ;)))

      Et des Eat sushis, vous n'en avez pas près de chez vous ? Moi je commande chez eux et j'adooooore leurs sushis (rien à voir avec un vrai japonais, je te l'accorde).

      Quant à la flemmmite aiguë post-grossesse, je connais à fond... moi comme l'homme d'ailleurs... :D

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