lundi 1 juillet 2013

La respecter


Tu sais, j'aime ma fille, c'est indéniable. Ça peut paraître bizarre d'écrire une telle évidence, mais comme tout un chacun, je traîne mes grosses casseroles d'enfance, et ma fille, ma grande, j'ai eu peur de ne pas l'aimer, de ne pas l'aimer assez, assez bien, assez fort, parfaitement. J'ai grandi dans une famille supra fortiche sur les déclarations d'amour et l'exhibition des sentiments (pas que des sentiments, d'ailleurs, mais passons), tellement fortiche, même, que ça en devenait étouffant. Ça aurait pu être beau, ces "je t'aime" parentaux claqués à tous vents ; sauf que c'en était, du vent, un vrai courant d'air, l'amour de mes parents ; pas une once de vérité là-dessous.

Bref, j'ai eu peur de reproduire les mêmes erreurs, de ne pas aimer assez bien ma fille.

Alors je l'aime, je n'y peux rien, c'est viscéral, et même si voilà une chose évidente, que d'aimer son enfant, ce passé qui est le mien fait que je m'étonne encore, parfois, souvent, de l'aimer, malgré tout, malgré moi, malgré moi et mes difficultés, moi et mes limites. Du coup, je culpabilise avec un grand C à la moindre chose que je ne parviens pas à faire exactement comme je voudrais.

Dans l'amour que je lui porte, il y a le respect que je veux lui témoigner. Elle a 2 ans, et je suis sa mère ; cela dit, c'est un être humain, et si je veux qu'elle prenne confiance en elle, en la vie, en le monde, si je veux qu'elle s'épanouisse, se sente bien dans ses baskets, en plus de l'amour que je lui donne, je veux la respecter.

J'y arrive, et puis, tu sais, des fois, je n'y arrive pas. Pas autant que je voudrais. Parce que je suis fatiguée, parce qu'elle est fatiguée, parce que telle crise qui me semble à moi absurde se heurte à ma raison d'adulte.

Des fois, j'y arrive.
Je la préviens de tout, je lui explique ce qu'il va se passer, j'essaie de ne pas la prendre au dépourvu.
J'essaie de la comprendre. Comprendre qu'elle puisse être fatiguée, et de mauvaise humeur.
Je reconnais mes erreurs. Je lui dis : "Tu as raison, excuse-moi."
Je reconnais mes limites. Je lui dis : "Je n'aurais pas dû crier, là. Ce n'est pas une excuse, mais je suis fatiguée."
Je lui montre qu'on est pareilles. "Toi aussi, quand tu es fatiguée, tu es de mauvaise humeur."
J'essaie de lui fiche un peu la paix sur des choses sans importance. Oui, tu peux mettre le dawa dans ta chambre ; vas-y, joues, éclate-toi. (Mais on rangera ensemble ce soir.)

Et d'autres fois, je n'y arrive pas.
Je finis les choses pour elle, par impatience. Elle se lave les mains, mais elle joue avec le savon ; alors je les savonne et les rince moi-même.
Elle se brosse les dents, et je m'énerve parce qu'elle ne les brosse pas, en fait. Parce qu'elle se regarde dans la glace, se fait des grimaces à elle-même. Et moi, je m'impatiente, moi. Je finis par dire : "Bon allez, c'est moi qui le fais parce que toi tu fais rien."
Je laisse la fatigue faciliter ma colère. Elle veut le livre de Dora, et rien que celui-là, celui qu'elle me demande d'aller chercher en bas. Je lui dis que non, que je suis trop fatiguée, que... mais elle n'entend rien, elle s'entête, s'énerve. Et je réalise qu'elle a bien le droit de lire son livre préféré. Et que du moment qu'elle y met les formes ("siteupé"), je peux bien faire un effort.
Elle se débat parce que je dois lui laver le nez. Et ça m'énerve, parce que ça complique tout, et que je pars du principe que puisqu'elle comprend ce que je lui dis, elle devrait être en mesure d'être raisonnable, et d'accepter que je lui fasse un truc désagréable puisque ce n'est pas de ma faute, puisqu'elle est malade, puisqu'il faut bien. À 2 ans, j'attends d'elle ce genre de choses, tu vois. Jette-moi la pierre.

Je ne suis pas très fière de moi, même si je sais que je fais de mon mieux. Je voudrais juste que ce mieux soit meilleur.
Au moins en ai-je conscience, rectifiant le tir quand je le peux. Puis je reconnais mes torts, je lui dis que j'étais fatiguée, que je n'avais pas à m'emporter, que les adultes aussi font des bêtises, parfois, sont déraisonnables. Et qu'ils doivent s'excuser, eux aussi.

J'ai lu beaucoup de choses, avant, quand j'avais du temps libre (à l'époque de la préhistoire), sur la "parentalité positive", sur le respect dû aux enfants, sur les alternatives à la punition, la colère, les cris, etc. Je suis contre toute forme de violence physique, même minime, que ce soit la tape sur la main ou la fessée. Tout ce que je lis est fantastique, respectueux, beau, humain ; après, il y a la théorie utopique, et la pratique au quotidien. Au quotidien, avec nos personnalités, nos humeurs, notre fatigue, nos occupations, nos obligations, c'est moins facile, moins simple d'être à l'écoute à 200 % d'eux, de leurs besoins, de leurs désirs. Je n'aime pas trop élever la voix, la mettre au coin, encore moins lui faire du chantage ("si tu ne ranges pas ce que tu as dérangé, on n'ira pas se promener").

Mais bon, parfois, il y a des limites à poser, des crises à gérer, des choses à lui faire comprendre. On réagit sur l'instant, à chaud ; on n'a pas forcément la patience ou la présence d'esprit de toujours dire ou faire ce qu'il faut quand il faut comme il faut, même si c'est ce dont je voudrais être capable.
Je voudrais la respecter plus et mieux, la laisser évoluer, grandir, apprendre à son rythme, à sa façon ; mais parfois, ce sont mes casseroles qui prennent le dessus.

Parents, c'est un métier bien complexe, je trouve.
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6 commentaires:

  1. C'est fou parfois de lire des articles, et de se dire : tiens, mais ces mots-là; ce sont exactement ceux que je pourrait employer moi aussi. Je me reconnais tellement dans ce que tu viens décrire, tellement. Ma fille a 2 ans aussi, et tout comme toi même si j'essaie de la laisser au maximum vivre sa vie sans contrôler ses faits et gestes, sans la brimer, le quotidien fait que la réalité est parfois (souvent) toute autre. Merci pour ce billet si vrai.

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    1. Merci à toi de ton passage ici, et de me faire me sentir moins seule ;) On sait bien que personne n'est parfait, que personne ne fait parfait ; mais ça fait du bien de se l'entendre dire, de réaliser, pour de bon, que le voisin, la voisine d'à côté peut avoir les mêmes difficultés, en fait ;)

      C'est ça, tu as mis le doigt dessus : la laisser vivre sa vie sans contrôler ses faits et gestes... parfois, on agit sans réfléchir, spontanément on finit les choses pour elle. Par exemple, quand on lui rend un service, le "Et qu'est-ce qu'on dit ?" sort systématiquement de ma bouche... Depuis quelque temps, j'essaie de penser à attendre... lui laisser le temps d'y songer elle-même, à dire "merci", sans forcément partir du principe qu'elle va l'oublier. Bon, les 3/4 du temps elle l'oublie en fait... :D mais lui laisser une chance d'y penser fait par exemple partie de ces choses que je veux faire mieux pour la respecter plus.

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  2. Bonjour,
    Je me retrouve bien dans ton article...La théorie nous aide beaucoup mais a ses limites, et ensuite on fait avec ce qu'on est, comme on peut sur le moment. Bien des fois, je culpabilise et j'ai l'impression de passer mon temps à "poser des limites"... mais je garde aussi la conviction que nos enfants ont besoin d'avoir des parents imparfaits, de se confronter aux émotions et réactions inadéquates ( pas tout le temps, hein!! )... pour avoir le sentiment de pouvoir faire différent de nous, faire mieux... C'est impossible de tracer son propre chemin si tout est annoncé comme étant "parfait" ou "la meilleure manière de" autour de soi.
    Et je crois aussi qu'autour de 2 ans, c'est quand même un passage un peu "chaud"... on est en plein dedans et ce n'est pas tous les jours facile !
    Bizz

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    1. Pour ma part ça va, je pense qu'on est plutôt chanceux car même si effectivement elle s'est mise à faire des crises à propos de détails absurdes du jour au lendemain (qui nous paraissent à nous absurdes en tout cas), ça reste très largement gérable au final.

      Mais j'ai la même conviction que toi : c'est important qu'ils ne nous sacralisent pas (comme moi j'ai pu le faire avec mes parents), qu'ils comprennent et acceptent que nous avons nos défauts, nos limites, nos faiblesses nous aussi, qu'on peut faire des erreurs, qu'on peut dire "pardon", qu'on peut admettre nos torts ; ce n'est pas parce que nous sommes les adultes que nous avons toujours raison et eux, toujours tort :)

      Et je crois que c'est plus sain pour eux de voir que nous sommes commes eux, finalement, que nous avons aussi nos humeurs, nos difficultés, que c'est normal, que ça fait partie de la vie, que nous ne sommes pas des super-héros qui font tout parfaitement ; moi on a tenté de me faire croire ça étant jeune, et c'était étouffant !

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  3. J'aime bcp ton écriture, je reviendrais ;)

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    1. Merci de ton passage ici :)
      J'aime aussi beaucoup ton blog, tu fais de très belles photos :)

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