É. est une petite fille sage. Très sage – et non, je n'irai pas jusqu'à dire "trop sage" : un enfant n'est JAMAIS trop sage, tous les parents vous le diront (#parentssolidaires). Elle est sage, obéissante, ne fait pas d'histoires, si peu de caprices, et même si nous sommes anti-fessée/anti-tape et cie, les punitions traditionnelles ont marché de tout temps avec elle : mise au coin, grosse voix-gros yeux, etc.
M., sa petite sœur, nous a très vite mis en difficulté. Parce que ce qui marchait avec la grande ne fonctionnait pas du tout avec la petite. É. était docile ; M., quant à elle, était clairement rebelle. La mise au coin, ça la faisait doucement marrer ; quant aux autres tentatives punitives, elles se soldaient dans les hurlements et l'agressivité. Youplaboum.
Bref, il nous a fallu trouver autre chose, et fissa. C'est là que Petits diables et Je veux une tite sœur fille sont entrées en scène, avec leur éducation respectueuse. J'ai appris qu'il y avait bien mieux que la mise au coin et la grosse voix, non pas pour "faire obéir les enfants", mais pour les accompagner vers une meilleure gestion de leurs colères. Les aider et nous aider, quoi.
On a commencé à le mettre en pratique avec M., et ça a drôlement marché. Plus de cris, plus de crises. Elle était entendue, comprise, respectée, et ne ressentait plus le besoin de s'exprimer avec fureur.
Sauf que le respect n'est pas une potion magique qu'on sort quand ça nous va bien. Le respect, on le doit à tous, en toutes circonstances, nos enfants, et surtout eux, compris. Et surtout au quotidien. Et surtout quand rien ne pose problème – ou que, du moins, rien ne le semble.
"Bêtement" (on fait ce qu'on peut), nous étions un chouia moins attentifs avec É. parce que "tout allait bien" et qu'elle ne semblait pas réclamer plus d'attention, d'écoute.
Sauf que voilà, depuis quelque temps, elle s'énerve très, très vite : à la
moindre contrariété, hop ! elle s'emporte, n'écoute rien, nous assène un "je veux plus que tu
me parles, je veux que tu me laisses tranquille !!" en criant bien fort pour couvrir notre voix et nous empêcher de répliquer. Et ça, vois-tu, ça nous met hors
de nous. Bêtement. Parce qu'on se sent "bafoués dans notre sacro-sainte autorité" (tu les vois, les guillemets, là ?...).
On est pro-éducation respectueuse, alors on sent bien qu'il faut la laisser s'exprimer, mais c'est plus fort que nous : sa réaction aussi subite qu'excessive (du moins à nos yeux d'adultes "raisonnables") nous met à cran, nous déstabilise. On "cède" un peu, mais pas trop non plus : quoi, elle nous coupe la parole, nous ordonne de ne pas lui parler, de ne pas lui réciter au moins notre sermon moralisateur ?
Alors, très connement, on élève la voix, on fait les fameux gros yeux, on essaie de "rester dignes", de conserver un quart de notre autorité que nous croyons bafouée (ignorants que nous sommes !). Nous lui parlons quand même, malgré son refus de nous écouter, parce que tu comprends, "nous sommes les parents" tout de même ! nous lui imposons de nous écouter... quitte à la maintenir physiquement face à nous pour ce faire. (Oui, bon, j'aurais voulu t'y voir.)
Plusieurs heures après, alors qu'elles sont couchées, que je suis détendue, que j'y repense calmement, une révélation m'assomme : en réalité, ce qu'elle
fait là, c'est ADMIRABLE. Oui.
Du haut de ses pas encore 4 ans, elle est capable de nous dire
précisément ce dont elle a besoin à ce moment-là. Elle ne dirige pas sa
colère contre les autres, ni contre quoi que ce soit, ni même contre elle
ou contre nous – ne tape pas, n'agresse pas, ne casse pas ;
non, elle sait qu'à cet instant précis, elle a BESOIN de s'isoler et qu'on
lui fiche la paix. Et elle le dit simplement, haut et clair.
Je réalise l'effort et la maturité que cela lui demande de verbaliser aussi explicitement ce
qu'elle veut, et de faire valoir ce droit à avoir la paix
pour que sa colère passe, au-delà de notre autorité.
Ou quand on essaie un peu de se mettre à leur place trois secondes, en comprenant qu'on n'a finalement rien à y perdre.
Ce n'est pas bien grave, au fond – not a big deal, dirait Janet Lansbury – que nous ne puissions pas lui donner notre
explication ni lui faire réparer la bêtise pour
laquelle le conflit a démarré dans la seconde. Ça peut bien attendre cinq toutes petites minutes qu'elle se
soit calmée, seule ou avec nous selon son besoin, qu'elle soit enfin
d'humeur et surtout en état psychique d'entendre nos explications, de demander le
pardon attendu ou de réparer l'incident. Ça ne fera pas de nous
des parents plus "laxistes", que leurs enfants ne respectent pas ; ça ne rendra pas le discours "moins acquis". Bien
au contraire. Se sentant comprise, entendue, pleinement respectée, elle ne pourra que respecter les autres, par mimétisme, parce que les enfants apprennent en reproduisant ce qu'ils voient.
"JE VEUX QUE TU ME LAISSES TRANQUILLE !
JE VEUX PAS QUE TU ME PARLES !
JE VEUX ME CALMER DANS MON LIT !!!"
Oui, ma belle. Vas-y. Prends tout ton temps. On pourra parler de tout ça au calme quand la pression sera retombée, qu'on sera tous d'accord pour s'écouter les uns les autres, sereinement, dans cinq minutes, avec respect et bienveillance. Reste toi-même, tu es tellement belle et tellement vraie, comme ça.