mardi 7 mai 2013

Histoire d'une naissance #3


5 heures du matin, samedi 13 avril. L'homme dort, ma petite (qui ne sera bientôt plus la petite) dort également. Et moi j'insomnise, comme d'habitude. Je surfe sur Internet en attendant que Morphée daigne s'intéresser à moi. Un peu mal au ventre, je gobe deux Spasfon.

Une heure passe. Toujours un peu mal au bide. Enfin, non. Mal aux reins, plus précisément. Aux reins ? ça me rappelle un lointain souvenir. Un souvenir qui, à bien y réfléchir, revient par vagues légères. Assez régulièrement, en fait. Je dégaine mon smartphone pour lancer ma super appli spéciale comptage de contractions (ouais, ça claque). Je patiente quinze, vingt minutes. Ça revient, en effet. Toutes les 8-10 mn. Ben merde alors.

(Tu comprends, j'ai pas connu ça pour ma grande ; j'avais perdu les eaux... le message est plus clair à décrypter quand t'as l'impression de te faire pipi dessus en non-stop.)

Je change de position : sur le dos, le côté. Debout, assise. Des fois que ce soit pas ça. Des fois que je ce soit juste mon corps qui crie sa douleur osseuse comme chaque minute depuis le dernier trimestre. (Enfin a priori, mal aux reins, c'est pas mal aux os, à moins que je sois vraiment naze en anatomie.) Non, y a pas, ça continue.

J'attends pas plus, mieux vaut se bouger pour rien que l'inverse, d'autant qu'on a l'aînée à lever, habiller, déposer chez ses grands-parents. Je réveille doucement mon homme, calmement : "Mon cœur, je crois que ça commence." Réveillé d'un bloc, l'homme, mais calme. "OK. On y va."

La douleur est tout à fait gérable, ce n'est même pas encore une douleur, disons un gros élancement. J'en rigole tant je suis excitée 1/ que l'aventure démarre enfin ; 2/ de découvrir ce que c'est, un début de travail par contractions ; et 3/ soulagée que ça démarre un matin à 7 heures, ce qui évite de réveiller la puce en panique au beau milieu de la nuit.

La suite, c'est un grand calme, une espèce de petit bonheur familial simple. Un peu comme ce qu'avait raconté Marjoliemaman dans son billet Le jour d'avant, un billet qui m'avait particulièrement émue. C'est le début d'une aventure complètement dingue... qui se passe dans paix d'une journée d'été. Entourée des siens. Le temps, le monde ne s'arrêtent pas pour autant. Un bébé est occupé à naître, à faire son chemin vers nous, et nous continuons tranquillement notre petite journée, nous vaquons à nos occupations, prêts tout de même à l'accueillir quand ce sera le moment.

Ce fut cela. En plus rapide, tout de même : réveiller la grande, la laisser en pyjama, petit gilet par-dessus, un bib rapidement préparé pour dans la voiture, boucler les valises, boire un petit kawa rapide pour mon homme. J'ai faim... mais je ne mange rien. Je pense à ma péridurale chérie et quelque chose me dit que je n'en suis plus très loin. Alors je ne mange pas, ne bois pas. Bien m'en a pris.

8 heures, départ pour la maternité. Dans la voiture, nous rigolons. Il fait beau, il est tôt le matin, peu de monde sur la route. Nous mettons la radio, chantons sur la musique. On a le sourire, tout en sachant que quelque chose de "spécial" va se passer, est en train de se passer. La grande aussi le sait, le sent. Mélange d'excitation, de curiosité impatiente, de sérénité.

Le trajet en voiture me donne confirmation : la fréquence des contractions passe de 8 à 5 mn en l'espace d'un quart d'heure. Je dis à mon homme : "OK, on va pas déposer la grande chez tes parents : tes parents vont venir la chercher à la maternité, plutôt." Histoire de dire qu'il faut pas traînasser, quand même.

Le sourire, je l'aurai jusqu'à l'arrivée à la maternité. Jusqu'à ce que j'aie enfilé les surchaussures et fait un gros bisou à ma petite bientôt grande, qui me voit partir avec interrogation, mais sans pleurs.

Parce qu'une fois entrée en chambre de pré-travail, ça devient quand même nettement plus douloureux. Et nettement plus rapproché. Nettement moins gérable, donc.

On me colle sous monito – non mobile, ce qui veut dire 40 mn de contractions à subir dans la position la moins naturelle qui soit ; bonjour Douleur. Mon obstétricienne passe, s'étonne de me voir (ah bon ? et le décollement des membranes surprise, c'était pour la balade ??), me dit que ce doit être un faux travail. Vache. Si ÇA c'est un faux travail, je ne survivrai JAMAIS au VRAI travail. Mon obstétricienne m'apprend qu'elle n'est pas de garde ce week-end (ooooh, flûte alors...), qu'on se reverra sûrement lundi pour me déclencher. Ben voyons.

Je dis à mon homme que je vais sûrement crever de douleur avant. À moi, je me dis que punaise, je suis là depuis 30 mn à peine, et je craque déjà. Que je suis la lose de toute l'histoire des accouchements.

Une sage-femme entre, m'ausculte. "Vous êtes à 5 cm."

HA !! Bordel. Soulagement. Quand même, je suis pas si mauviette, en fait. Y avait une raison valable au fait que je douille grave. Vache, 5 cm. Quand même. C'est que ça va vite, là, les gars. Je déguste. Je dis à l'homme que j'ai mal. Que j'y arriverai pas.

La sage-femme revient, me pose la question de la péridurale. Je repense à mes cours de prépa à l'accouchement. À tout ce qu'on m'a montré pour gérer la douleur : le ballon, les postures, l'écharpe pour m'y suspendre. Comment l'homme pouvait m'aider : massages, soutien, appui. Les huiles essentielles, le bain. La préparation physique, psychique. Pour tenir, attendre un peu.

Et je dis : "Oui. Vite. Allez. Hop. Vite." (je dis ce que je peux comme je peux dans l'intervalle de 3 mn que me laissent ces saloperies de contractions).

On me demande de me doucher à la Bétadine. C'est-à-dire, genre, je pleure sa race 1 minute toutes les 3 minutes, mais faut que je joue à la douche préop' à oilpé dans la baignoire. J'obéis, je vendrais un rein pour ma péri.

À ce stade, mon amour pour l'homme est loin, très loin derrière. Tout juste si j'ai assez de souffle pour lui donner des ordres très brefs, très secs, et sans ambiguïté aucune. Autant te dire que les rares fois où il a émis un timide : "Mais pourquoi tu ne... – AHTAIS-TOITUFAISC'QUEJ'TEDISTAIS-TOITAIS-TOI !!". La femme qui accouche n'est pas très aimable, sache-le.

Je me douche ; je souffre ; je me sèche (très mal) ; je souffre ; je m'habille (avec la blouse cul nul) ; je souffre ; j'enfile un chausson ; je souffre ; on m'enfile l'autre ; je souffre ; je mets 18 mn à rejoindre la salle de naissance d'à côté ; je souffre.

(Ça te donne un bon aperçu du rythme des contractions.)

On m'installe sur le lit, dans la pire position du monde : la position de la péridurale. Assise, dos rond, recroquevillée sur mon putain de ventre triple XL. Mes poumons, faute de place, rendent l'âme ; mes reins se mettent en grève sous l'assaut des contractions ; il me semble que mon corps tout entier va imploser sous la violence du travail. On me prépare pour la péri, on me dit que l'anesthésiste va venir "dès que possible". (Là, tu pleures, parce que tu ne peux pas attendre "dès que possible" ; non, ce que tu veux, toi, c'est l'avoir hier, ta péri.)

S'ensuivent dix longues, très longues minutes, seule avec l'homme, durant lesquelles je l'ai supplié de toutes les manières possibles et imaginables, supplié de m'aider sans savoir quoi lui demander, supplié de rappeler les sages-femmes, supplier de faire quelque chose, n'importe quoi, me fiche un bolus de morphine pure, menacer l'anesthésiste avec un P38. Je souffrais ce qui me semblait le martyre (je suis toujours de cet avis) et, pire que tout, je sentais "pousser" en bas. Terreur de ma part : jamais je n'aurais ma péridurale à temps, ma hantise absolue. Je suis pas une courageuse, moi, et c'est pas une nouveauté.

L'anesthésiste entre, finalement ; je ne me réjouis pas plus que ça, je sais que ça va encore être long, sachant que chaque contraction me paraît être la plus insupportable du monde, plus que la précédente en tout cas. L'homme doit sortir. Je sais que maintenant, je vais devoir gérer cette douleur seule, sans bouger, sans sourciller, tandis qu'on me pose la délicate péridurale.

J'ai gémi. À chaque contraction, j'ai gémi. Comme un animal. Comme les nanas à la télé, tu sais, genre dans Baby Boom, où on se dit que c'est pas possible, c'est du pipeau. J'ai gémi fort, très fort, assez fort pour me faire entendre de tout le service. J'ai été cette nana qu'on entend du bout du couloir et dont on se dit : "C'est qui cette folle ??" J'ai gémi parce que c'était le seul truc que j'étais en mesure de faire à ce moment-là, parce que c'était la seule chose sur laquelle j'étais capable de me focaliser à cet instant, au-delà de la douleur.

Il est 10 h 30, ça fait deux heures que je suis arrivée, et je suis à 8 cm.

La péri est posée, enfin, après deux tentatives ratées. J'ai géré vingt minutes de contractions dans cette position foireuse, persuadée que j'allais flancher dans les pommes tant je souffrais. Tu pourras te fiche de moi, mais quand j'ai su que j'étais à dilatation quasi complète juste avant qu'elle ne fasse effet, j'ai été fière. J'étais une warrior de la contraction (à mon niveau). Si j'avais pu, j'aurais eu ma péri depuis trois mille ans, c'est vrai. N'empêche, je l'ai fait.

On a autorisé l'homme à revenir. Petit à petit, doucement, contraction après contraction, la douleur est devenue plus supportable. Je me suis pas sentie partir dans un eden cotonneux, comme pour mon premier accouchement, où je n'avais plus rien senti du tout. Non, là, je sentais. Je sentais très bien les contractions qui montaient et s'éloignaient. Et je sentais très bien combien ça poussait, là, en bas. Mais c'était plus gérable. Nettement plus. Puis, enfin, le repos entre chaque contraction, la sensation que le corps souffle, se détend. J'avais un peu mal, je sentais tout ; mais toutes les deux minutes, la contraction finissante soulageait mon corps, je ressentais cette apaisante sensation de la douleur qui s'éloigne, s'estompe. Je me reposais, enfin, mais n'étais pas déconnectée, pas cette fois. Je pouvais annoncer les contractions. Je sentais, littéralement, ma fille passer à travers mon bassin (= bon, j'avais mal aux os, quoi). Et je sentais cette si étrange envie de pousser que je n'avais encore jamais connue, cette sensation presque primale, originelle. Tout le monde était prêt. On n'attendait que mon signal pour commencer. C'était à moi de dire quand, elle et moi, serions prêtes.

Pour la première fois, j'étais actrice.

Drôle, drôle d'aventure, te disais-je.

Suite au prochain numéro...
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13 commentaires:

  1. Tu vas y arriver à terminer ton récit,
    j'attends, et tu me tiens en haleine, les larmes aux yeux (ahhhh ces fichues hormones:::)

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    1. Patience, il reste encore environ 8 épisodes...

      (Non, je déconne. Je suis pas aussi douée que les scénaristes des "Feux de l'amour", moi.)

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  2. Moi aussi je suis super émue ! J'ai hâte de lire la suite !
    kanddye

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  3. Le réveil de ton mari m'a mis les larmes aux yeux, c'est con, hein ? C'est pas le moment crucial mais ça m'a rappelé quand j'ai réveillé le mien et que tout a commencé ;)
    Moi j'ai perdu les eaux les 2 fois, parfait pour être sûre !
    Par contre, on ne m'a pas dit de me doucher à la bétadine (jamais, alors que j'ai accouché dans 2 endroits différents) et Maximus a pû rester pour la pose de la péri... Ce qui lui a valu un coup de chaud mais bon, il était à côté de moi !
    Et bravo, tenir jusqu'à 8... j'imagine pas en fait !!
    Et puis pareil pour l'envie de pousser, je l'avais pas du tout eu pour Minus, je sentais plus les contractions, mais j'avais quand même horriblement mal au niveau des os et des ligaments...
    Pour Craquotte j'avais la même douleur horrible au même endroit qui ne passe pas avec la péri mais je l'ai sentie passer et pousser... Super bizarre comme sensation !

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    1. Idem pour la douche à la Bétadine, je n'avais absolument pas eu ça pour ma première... d'autant qu'on a franchement autre chose à fiche à ce moment-là (genre gérer sa dilatation de 5 à 8 cm en 30 mn sans péri...)... je n'en avais jamais entendu parler avant ça !

      En tout cas c'est fou comme les sensations diffèrent d'un accouchement à l'autre, même pour la même femme ! C'est étrange, comme expérience physique et psycho, non ?

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  4. Que du "bonheur" de te lire parce que finalement quand c'est fini, ça reste quand même un "bon" souvenir nan.

    J'suis contente de lire ton récit aujourd'hui, je suis moi même devenue maman un 7 Mai il y a 7 ans d'une petite fille et il y a 3 ans d'un petit garçon (oui oui aussi le 7 Mai !) Ils sont nés tout les 2 le même jour à 4 ans d'intervalle et mes accouchements étaient tellement différents ...souvenirs souvenirs ...

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    1. Oh, joyeux anniversaire à eux avec un jour de retard alors ;)

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  5. La suite !!! Décidément tu nous tiens en haleine ! J'espere quand même connaître un jour cette sensation de sentir passer son bébé :-)
    Pareil que Marjolaine, dire à son homme "ok on y va", le reveiller en douceur, reste aussi un chouette souvenir, comme dans les films ;-)
    Elise

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    1. Moi ça m'a surtout marqué pour ma première, car du coup c'était le premier accouchement, j'ai perdu les eaux pendant ma sieste... j'ai appelé mon mari toute tremblotante (j'étais à l'étage, lui en bas), ma belle-mère a dit : "Il est dans le jardin", et j'ai répondu : "Heu oui mais là faut qu'il vienne vraiment, vite..."... et je le revois encore arriver, monter l'escalier, me demander ce qu'il y a... et moi, ruisselante :D lui dire : "Heu, ben je crois que ça y est...", et le regard qu'on s'est lancé à ce moment-là... :D

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  6. alalaa c'est toujours avec la même emotion que je lis les récits d'accouchement !!! j'aime beaucoup la fin, c'est toi l'actrice... quelle journée particulière intense, donner la vie c'est incroyable !!! Bonne journée a toi !

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    1. Merci, et merci de ton passage ici :) La suite très bientôt, vendredi si je peux (#faitesdesenfants) ;)

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  7. Comme je te comprends d'être fière de t'être rendue à 8! Je l'ai fait au complet sans péridurale contre mon gré, j'étais si fière de moi. Même si comme tu dis si bien, je l'aurais voulu dès la première contraction cette péri qui n'est jamais venu!
    Bravo, on a le droit de se dire qu'on est des warriors! J'ai hâte de lire la suite!

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    1. Sans péri, j'admire, même si ce n'était pas de ton fait... j'ai vraiment cru que je ne pourrais pas l'avoir, surtout quand je sentais que ça poussait en bas alors que j'attendais encore l'anesthésiste... en gros, je l'ai eue 20 mn avant la naissance... je suis fière de moi, mais je ne regrette pas ces 20 mn de soulagement !

      La suite arrive très vite, demain matin j'espère, normalement !

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